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The Pen is Mightier than the Sword

De neiges froides et d'encre noires


Arlequin

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D'Encre Noire et de Neiges Froides,

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Pour une raison qui dépassait même son entendement, par une nuit d'hiver particulièrement rude, cet homme avait pris la décision d'écrire son histoire. Grand Dieu, il avait tellement connu et parcouru ce monde qu'il se retrouvera à court de papier avant même d'avoir fini le préambule de sa vie. Chose étrange il connaissait mieux que quiconque ses limites littéraires. Il n'avait aucun talent pour l'écriture.

 

En arrivant la veille, dans ce petit village de campagne, il avait loué la plus chère des chambres de la seule auberge. D'abord, il s'était installé confortablement, à son aise ; puis s'était affairé à la tâche qu'il s'était fixée... remplir toutes les feuilles de papier achetées tôt dans l'après midi.

 

"Mon seigneur a de la chance, voilà le dernier flacon qu'il me reste." Lui avait soufflé le marchant, alors que notre homme s'apprêtait à le payer pour une plume, de l'encre et des feuilles de papier. Dans cette région reculée du royaume, l'encre était chère car plus que rarissime. Trouver sur un coup de tête de l'encre noire, seulement secrétée par une espèce bien particulière de pieuvre, était preuve que cet homme-là était un personnage étrangement bien chanceux, et bien plus que l'ordinaire. Et pour cause il avait survécu à toutes les épreuves sans subir la moindre blessure et le moindre échec. Il était la fierté de son employeur, et l'illustre modèle de ces cadets.

 

La nuit était déjà bien avancée, et l'homme marmonnait, ronchonnait, soupirait et déchirait feuille après feuille. "Pourquoi suis-je incapable de partager ma mémoire aux autres ?" se répètait-t-il sans cesse pendant qu'il se penchait pour ramasser une nouvelle feuille vierge.

 

Celle-ci, il la regarda fixement, puis se résolu à refermer le flacon d'encre noir et à poser dans son étui la plume usée de ces heures d'écritures infractueuses. "Bon, je comprend mieux qui je suis." En même temps, il plia en quatre la feuille blanche teintée d'or et de feu à cause du reflet de la bougie, puis la rangea machinalement dans sa poche. Il s'apprêtait à faire une sortie nocturne.

 

L'homme prit avec soin et délicatesse, comme on prend dans ses mains un oisillion tombé de son nid, ses deux longs couteaux qu'il glissa rapidement mais méticuleusement dans les deux fourreaux dissimulés derrière la ceinture dans son dos. Il enfila son manteau noir et son écharpe de la même couleur.

 

Tout le village était endormi, aussi bien les villageois que les bêtes. Dehors, la neige tombait par à-coup, prisonnière de la volonté du vent. En sortant, il ferma sa chambre à clef et descendit le long escalier menant à la salle commune de l'auberge sans le moindre bruit, ni hésitation.

 

"Peut-être suis-je de la même espèce que cette neige? Elle donne tant l'impression par sa blancheur d'être pure et innocente, mais bien vite nous la maudissons pour le froid qu'elle provoque. Pourtant en regardant bien, en cherchant bien la nature même des choses, elle est pliée par la volonté du vent, le véritable chef d'orchestre de cette neige, celui qui apporte le froid tant haït. Je suppose que sans le vent qui porte jusqu'au dessus de nos têtes tous ces nuages gris enneigés, nous n'aurions pas froid." Ces paroles tournaient sans cesse dans la tête de l'homme.

 

Il serra un peu plus son écharpe autour de son cou et enfonca sa tête à l'intérieur de son manteau. Puis d'un pas décidé, il s'enfonça un peu plus dans le blizzard de cette nuit d'hiver.

 

L'homme avançait dans la plus profonde obscurité de la nuit : à cause de la neige, il ne pouvait allumer de lanternes. Cela ne le gênait en rien, ses pieds le guidaient instinctivement vers sa destination. Il marchait certes à l'aveuglette mais à grand pas, pendant une bonne demi-heure.

 

Sa promenade prit fin lorsque, arrivé devant le portail d'une grande propriété, il marqua une pause. Bien qu'il soit trop loin pour apercevoir la maison qui se situait au fond du jardin, il se souvenait encore à quoi elle ressemblait. C'était le manoir du baron, gouverneur de la petite province où il se trouvait. Il s'en souvint très bien, puisqu'il avait prit le thé à l'intérieur du salon de ce manoir, en début d'après-midi.

 

Pendant un moment qui lui avait semblé court, il avait tenu compagnie à la jeune maîtresse des lieux, la fille du baron. Elle était chaleureuse et souriante malgré l'approche des nuages plein de froideur et d'obscurité. Elle lui avait avoué tout en continuant de siroter son thé fumant qu'elle désirait, plus que tout au monde, parcourir chacune des contrées de notre royaume et d'écrire tout ce qu'elle y verrait et y entendrait. L'homme était visiblement troublé par le rêve enfantin de cette demoiselle qui avait toujours grandi sans le moindre souci. Pourtant l'emphase et le ton sérieux de la jeune maîtresse l'intéressaient grandement. Le rêve, dont il fut question au milieu des gâteaux et de plusieurs tasses de thé, était celui de devenir une romancière reconnue, non seulement par la Cour Royale et ses nobles sujets, mais également par tous les enfants qui apprendront un jour à lire grâce à ses contes.

 

Après sa brêve entrevue avec le baron, l'homme qui se disait être un messager de son Altesse Royale, par une étrange impulsion, s'arrêta devant la vitrine de ce magasin où l'on vend divers articles de hautes factures. A cet instant, il avait juré sur les nobles intentions de cette candide fille gâtée, et avec l'arme de la plume, il avait résolu de lui expliquer que le monde n'était tout sauf bonnes intentions et bonheurs. Il acheta finalement son matériel d'écriture.

 

Chassant toutes ses pensées, il ouvra sans grande difficulté le portail d'entrée et se faufila tranquillement à l'intérieur de la propriété baronnale. Les chiens était dans leur chenil, grelotant de froid, alors il se décida à marcher.

 

Arrivé devant la porte principale du manoir, il se dit à voix basse "Demain, quand ma besogne sera terminée, je prendrai quelques jours de congés et je recommencerai." Dans l'après midi, quand il avait acheté son matériel de scrib, il n'imaginait pas qu'écrire lui prendrait autant de temps et de concentration. La main sur la poignée de la porte, il lacha un léger soupir de tristesse : il avait avec une certaine assurance annoncé au veillard du magasin qu'il aurait besoin que de quelques heures. Ce dernier lui avait répondu par un unique sourire, cela avait mis l'homme en colère.

 

Dans ce village, le vol était aussi rare que de trouver un trèfle à quatre feuilles, il trouva la porte non verrouillée qu'il ouvra avec précaution, afin de s'engouffrer dans la chaleur du hall d'entrée. Quelques flocons de neige se sétait infiltrée en même temps que lui, mais il n'en tena pas compte. Il s'avanca dans le noir sans grande difficulté, il connaissait les lieux puisqu'il était déjà venu dans la journée. A droite se trouvait le salon dans lequel il avait pris le thé avec la demoiselle. Il monta donc à l'étage vers le bureau du maître des lieux qui lui servait également de chambre à coucher.

 

Après avoir gravi les marches de l'escalier, il s'arrêta surpris de voir de la lumière s'échapper sous la porte d'une des chambres à droite. Hormis le bruit du vent et de la neige tombante, aucun bruit ne se faisait entendre. Il passa devant cette porte et continua son chemin vers le fond de ce couloir. Désormais devant la dernière porte, il marqua un temps de réflexion. Il prit une profonde inspiration avant d'ouvrir cette porte.

 

La pièce, où il se trouvait, était aussi sombre que le couloir. Le lit était à sa droite et le baron dormait avec un léger ronflement. Il était seul dans ce grand lit. Sa femme avait été emportée par la maladie peu de temps après la naissance de sa fille.

 

L'homme s'avança désormais sans la moindre hésitation. Il trancha, avec un de ces couteaux, la gorge du dormeur qui fut destiné à ne plus jamais se réveiller.

 

Pour conclure son funeste travail, il avait pris le temps d'essuyer son couteau avec les habits du défunt.

 

De retour dans le couloir, il tomba de stupeur : la porte dont la lumière s'échappait, était désormais grande ouverte. La fille du baron se tenait debout au milieu du couloir. Elle regardait, terrifiée, cet homme en noir qui en un clin d'oeil venait de poser violament la main sur sa bouche.

 

"Pas un mot" dit-il en entrainant la fille dans la chambre. Elle fixa de ses yeux effrayée, cet inconnu qui venait de la poignarder. De minces larmes se mettaient à couler sur ses joues encore laiteuses. Elle s'écroula sur son lit, tremblante, les deux mains sur la blessure saignante. Il ne la baillonna pas : cette fille avait perdu la force d'émettre le moindre son.

 

L'homme la contempla un instant, puis se dirigea vers le bureau qui longeait la fenêtre. Loin de l'image d'un bureau bien ordonné comme il pouvait se l'imaginer d'une fille de noble descendance, il se trouvait devant un fouilli inimaginable de feuilles, de cahiers notés et annotés, de plumes et d'encres. Nombreux de ces flacons d'encres noirs étaient déjà vides, son père avait certainement dû dépenser une fortune pour satisfaire les caprices de son unique fille.

 

D'habitude, non intéréssé par la vie de ses victimes, cette nuit-là il avait pris le seul cahier ouvert. Personne ne risquait de venir le déranger. Selon toute vraisemblance, elle était en train de le remplir. Il retourna le cahier et sur la couverture il pût lire "Journal Intime n°6 - Papa ne le lit pas cette fois!" Il siffla silencieusement de respect : elle aurait déjà remplit 5 de ces cahiers, se dit-il à lui-même.

 

Intrigué par son contenu, il revint à la dernière page en cours.

 

"Aujourd'hui, la neige est tombée en début de soirée, et tombera certainement jusqu'au petit matin. Demain j'irai donc au village pour échanger du bois sec contre de l'encre. Je suis à cours et le marchand, gentil et attentionné, m'a toujours mis en réverse un flacon pour que jamais je ne puisse m'arrêter d'écrire. Il veut plus que tout au monde avoir le plaisir de lire mes futures aventures, haha. Je l'en remercie grandement, il est mon plus précieux support pour cette difficile tâche.

Oh je n'oublies pas père qui a le privilège de lire en premier mes poèmes, ni non plus les valets et servantes de notre maisonnet. Tous sont gentils avec moi.

Cet après midi, j'ai prit le thé avec un homme... fort séduisant et poli. Mon coeur battait la chamade, et j'ai bien peur de l'avoir ennuyé pendant son attente. Je me demande s'il est vraiment messager ? Et s'il l'est vraiment, quel genre de mésaventure à pu conduire un homme d'une si grande intelligence à la position de messager, donc de servant. Ah j'espère que je le reverrai un jour. Je n'arrête pas de penser à son triste sourire, j'aurais tant voulu qu'il m'ouvre son ......"

 

Le texte s'arrêtait là. Des larmes s'échappaient des yeux de cet homme décrit, rougis par l'émotion, et coulaient sur des joues devenues humides de chagrin. Il se retourna. Il ne voyait que le sang qui recouvrait le ventre de la fille. Ce sang avait la même couleur que l'encre noir.

 

"Tu... tu es la personne de cet après midi ?" La fille prononca ces premiers mots depuis l'incident d'une voix tout juste audible.

 

Il se précipita à ses côtés, s'assit sur un rebord du lit, et lui caressa son front froid.

 

"Ne parle pas, je t'en prie garde tes forces. Je vais te conduire voir un médecin." Il chuchota cela d'une voix pressante et plaintive.

 

"Pourquoi? Tu es venue tué mon père, n'est-ce pas?"

 

"Oui, mais je ne veux pas que..."

 

"Je le savais quand je t'ai vu pour la première fois. Je lisais de ton sourire qui était si triste, que tu n'étais pas une personne ordinaire... comme un héros mystérieux d'un livre d'aventure." Elle finissa sa phrase en tousant. Sa respiration était devenu de plus en plus forte et difficile.

 

"Ne parles pas je t'en supplie." L'homme ne savait plus quoi faire. Il n'avait jamais resenti la moindre pitié pour ses victimes. Mais aujourd'hui il était en train de goûter à une douleur qu'il n'avait jamais ressentie auparavent. Son coeur était sur le point d'exploser.

 

"Tu pleures, pourquoi? Tu es un drôle d'assassin. Je suis décue." La fille avait levée sa main droite et l'avait posée sur une joue de l'homme. Ses yeux fixaient le plafond, vides.

 

L'homme prit la main ensanglantée de la jeune fille dans la sienne.

 

"Tu n'as pas le droit de mourir... Je... J'ai acheté une plume à cause de toi."

 

La fille ne répondit pas, elle se contenta de tourner la tête, et lui souria. Ce sourire, elle lui avait déjà offert pendant le thé, un sourire sans haine rempli de tendresse.

 

"Je voulais te faire connaître le monde dans lequel je vis. Le monde réel... Je ne voulais pas que tu t'y risques. Je ne voulais pas."

 

"Egoiste..." En prononcant ce mot, elle émit un rire étouffé, puis parla à nouveau : "Dites, je suis une fille gâtée à la vie facile, et je suis 'égoiste' moi aussi, alors s'il vous plaît serrez moi dans vos bras."

 

L'homme, maladroitement, s'éxécuta sans dire un mot. Il la serra tendrement, puis relachant son étreinte, il l'embrassa. Quand leurs lèvres se s'éparèrent, il crut entendre un merci. La tête de la fille retomba sur les genoux de l'homme. Elle venait de s'en aller, un sourire aux lèvres, heureuse d'avoir aimé même un bref instant.

 

Un lourd silence pesait dans cette chambre.

 

L'homme, lui, resta un moment assis à regarder le visage endormie de la fille sur ses genoux. Il continua de lui caresser les cheveux. Avant de retourner à l'auberge, il déposa la fille dans son lit, avec soin et l'embrassa une dernière fois. "Un baiser d'adieu, celui des livres d'aventure." lui chuchota-t-il à l'oreille.

 

En quittant les lieux, il claqua la porte d'entrée le plus violement que sa propre colère le lui permettait, puis s'enfouit en courant dans la tempête de neige froide, plus furieuse que tout à l'heure en direction de l'auberge, à l'autre bout de la ville.

 

Le lendemain, la nouvelle de l'assassinat du baron se répandit comme une trainée de poudre. Mais à cet instant-là l'homme avait abandonné le village.

 

Il décida de ne pas faire son rapport à son employeur. En fait, il n'avait pas l'intention de le revoir. Il voulait pouvoir honorer la mémoire de cette jeune fille aimante. Dès lors, son long voyage solitaire commença. Armé de sa plume, il s'en alla sur les chemins de tout le royaume pour y écrire tous les folklores locaux et toutes les aventures dans lesquelles il sera forcément entraîné...

 

De nos jours, cet homme ne porte plus de nom d'emprunt. Il parcoure les routes de notre royaume sous le nom de Chris Chantal, faute de se souvenir du sien.

 

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